Plusieurs documentaires sur le microbiote, et mes connaissances professionnelles concernant la biodiversité tant agricole que sauvage m’invitent à mettre en lien la biodiversité de nos intestins et celle de la planète. Quel parallèle faire entre l’appauvrissement de notre flore intestinale (voire faune ? les bactéries sont-elles des plantes ou des animaux ? Elles les précèdent et les composent !) et celui de notre environnement naturel ?
Plusieurs chercheurs et chercheuses se sont penchés sur la question du poids du vivant. Comment calculer le poids de tout ce qui vit sur terre. Les animaux (y compris l’homme), les plantes et tous les micro-organismes, bactéries, etc.
Le poids du vivant sur terre est estimé à une terratonne de poids sec ! C’est-à-dire mille milliard de tonnes de matière sèche (donc beaucoup plus puisque le vivant, quel qu’il soit, est essentiellement composé d’eau).
Ce poids du vivant est plutôt stable depuis environ 2 siècles mais sa composition a fortement varié !
Aujourd’hui, si l’on considère la composition des mammifères et des oiseaux sur terre :
Environ 36% sont des humains et 60% sont des animaux produits par et pour les humains (bovins, ovins, caprins, porcs, poulets, animaux de compagnies, etc…) Il ne reste donc plus que 4% de mammifères et d’oiseaux sauvages !
En à peine 100 ans, l’humanité s’est multipliée par 4, passant de 2 milliards à 8 milliards.
Depuis 1980, 34% des oiseaux des champs ont disparus. 41% des amphibiens.
La biodiversité (tant terrestre que marine) se réduit très rapidement, et nous prenons de plus en plus toute la place !
Et ce que crée l’homme pour ses besoins et son confort aussi : En 1900 la masse anthropique ; c’est à dire tous les objets et infrastructures fabriqués par l’homme correspondait à 3% de la masse du vivant sur notre planète ! En 2020, la masse de tout ce que nous avons fabriqué et construit était équivalente à la masse du vivant.
C’est une accélération sans précédent.
Un premier parallèle possible, je ne suis pas assez documenté pour le vérifier, mais, de même que pour l’environnement, ce n’est probablement pas la quantité de microbiote qui a fortement varié, mais sa diversité, sa variété que l’on ne retrouve plus chez les humains occidentalisés et consommateurs d’aliments industrialisés, fortement transformés et conditionnés.
Certains connaissent mon statut d’apiculteur contemplatif et malheureux puisque j’ai perdu les abeilles de mes trois ruches en 2021. Elles sont aujourd’hui menacées et on cite abondamment comme ennemi n° 1, un acarien bien nommé : le Varroa Destructor.
Pourquoi est-on à ce point focalisé sur ce prédateur ? Parce que l’on sait faire des acaricides !
Mais nous nous trouvons face à un problème multifactoriel et des effets de synergie. C’est un ensemble decoupables certains et probables de la mortalité des abeilles, comme des pesticides, des virus, des insectes prédateurs et d’autres maladies et parasites qui crée cet effondrement.
Si les abeilles peuvent résister à un pesticide séparément, l’effet cocktail de pesticides multiples etmélangés est beaucoup plus nocif. C’est exactement comme pour nous lorsqu’on mélange les alcools un soir de fête, ça fait beaucoup plus de dégâts !
De plus, face à une baisse en qualité et en quantité des milieux agricoles et naturels les insectes polinisateurs se retrouvent avec moins de nourriture et surtout moins de variété dans leur nourriture.
Si elles ne mangent plus que le nectar d’une seule plante, elles seront carencées, donc affaiblies physiologiquement, et par conséquent plus vulnérables aux agressions. Tout comme nous !
Le manque de variété est plus important que le manque de quantité !
La révolution verte que nous avons développée en occident, au sortir de la 2ème guerre mondiale, avant de l’exporter dans les pays du sud, est basée sur une industrialisation de la production. D’abord grâce aux engrais chimiques et aux pesticides, puis par la sélection d’un petit nombre de variétés à haut rendement (capable d’exprimer leur haut potentiel dans des conditions de fertilisation élevée et grâce à la lutte chimique) et par conséquent une perte de biodiversité agricole sans précédent, amplifiée encore par la promotion et la généralisation de plantes génétiquement modifiées dont la très grande majorité (entre 80 et 90%) sont soit des « round-up ready® » c’est-à-dire résistantes au Glyphosate (un herbicide puissant), soit des BT dont le gène introduit issus d’une bactérie (Bacilius Turigiensis) rend ces plantes elles-mêmes insecticides (les abeilles et autres insectes utiles apprécient !)
Cet objectif d’industrialisation est toujours par essence quantitatif et de standardisation. On veut plus de rendement et avec des tailles, des formes, des goûts et des degrés de maturité standardisés pour pouvoir rationaliser et automatiser les processus de production-transformation-distribution-consommation !
L’invention par Fritz Haber – prix Nobel de chimie en 1918 ! – de la fabrication de l’ammoniac (NH3) à partir de l’azote atmosphérique (N2) qui compose 80% de l’air que nous respirons, a permis la production massive d’engrais azotés. Pour la petite histoire, le procédé appelé Haber-Bosch est une application industrielle qui est d’abord à l’origine des principaux explosifs produit à grande échelle pour les besoins de la première guerre mondiale, puis de bien des poisons comme le gaz moutarde, le Zyklon B et autres biocides descendant des organochlorés. Des armes chimiques, recyclées en pesticides pour l’agriculture : entre autres le DDT, la Dioxine puis les organophosphorés comme le Glyphosate.
Auparavant, l’azote minéralisé nécessaire aux plantes provenait essentiellement, de la synthèse de celui-ci par des rhyzobactéries installées dans des nodules associés aux racines des légumineuses, et par le fumier.
En un siècle les retombées atmosphériques d’azote assimilables ont été multipliées par 10 et on peut vérifier une « coïncidence » remarquable entre les cartes de retombées atmosphériques maximum d’azote assimilable et celles des zones d’appauvrissement maximal de la biodiversité. L’impact de l’homme sur le cycle de l’azote est donc énorme. Cet excès d’azote, provoque la « disparition » des légumineuses sauvages (les fabacées ou les papilionacées) qui sont justement un des aliments de prédilection des abeilles.
Par conséquent, la perte de biodiversité induite par l’homme, conduit à la perte des abeilles et autres insectes polinisateurs et cette raréfaction contribue logiquement à une diminution de la biodiversité végétale. C’est un cercle vicieux dont nous sommes responsables. C’est un double cercle vicieux, puisque cette perte de biodiversité, en particulier agricole et donc alimentaire conduit naturellement à une perte de biodiversité dans nos intestins, ce d’autant plus que des règles excessives d’hygiène alimentaire, aseptise notre nourriture.
On présente souvent l’enjeu majeur de la conservation de la biodiversité comme étant le besoin de préserver un patrimoine, des espèces (des gènes) qui risqueraient de disparaître alors qu’ils pourraient nous être utiles voire nécessaires un jour. Cela nous amène à concevoir des banques de gènes et de semences, dans d’immenses « congélateurs-coffre-forts ». Le projet de la banque de semence de Svalbard, sur l’île du Spitzberg en Norvège en est le symbole le plus marquant. Son but est de constituer une réserve de sûreté aux banques de semences déjà existantes. On prévoit d’y entreposer trois millions de variétés de semences. Cette « Arche de Noé glaciaire » permettra aux semences de demeurer congelées, même en cas de panne d’électricité. Le ministre norvégien de l’Agriculture et de l’Alimentation a affirmé que la perte de la diversité génétique représente une perte d’héritage culturel et une diminution de notre habileté à faire face à de nouveaux défis, tels les changements climatiques ou la croissance de la population. Si cette intention est louable, elle a, à mon sens, le goût amer de l’anticipation d’une situation post-catastrophe. Une catastrophe évitable si l’on décidait d’agir en exprimant notre volonté de vivre dans un environnement plus riche et plus varié donc plus stable et plus beau ! Pourquoi mettre des semences au frigo ? Ne serait-il pas mieux de les cultiver pour les préserver ? Et ainsi promouvoir une nature ou foisonnerait la vie dans toute sa diversité. C’est là, à mon sens, l’enjeu essentiel.
D’où le lien avec notre microbiote ! Pourquoi stocker, conditionner et transformer en médicaments commercialisables les cacas des peuples premiers (et de gens en bonne santé), plutôt que de faire en sorte que l’humanité, au lieu de junk-food et autres nourritures industrielles standardisées et appauvries, se nourrisse d’aliments sains, peu transformés, naturellement produits selon un mode de production agroécologique, capables d’entretenir et enrichir notre flore intestinale ?
Les écosystèmes sont des systèmes. Par conséquent, nous devons toujours les aborder de manière écosystémique. Pour fonctionner durablement, le bouclage des flux d’énergie et de matière de ces systèmes est essentiel. Plus les flux s’autoalimentent en boucles fermées sur un espace restreint plus l’écosystème qu’ils constituent est robuste et stable. Plus les écosystèmes sont ouverts, plus les déséquilibres s’aggravent. Ces écosystèmes vivent alors au dépend d’autres écosystèmes sans restituer ce qu’ils leur prennent.
La viande que nous consommons aujourd’hui en excès, est un bon exemple. Elle est essentiellement produite « industriellement ». Ce mode de production conduit non seulement à une perte de biodiversité, mais aussi à un transfert de la fertilité amazonienne vers l’Europe! Notre bétail consomme du soja OGM, produit grâce au glyphosate, sur des terres gagnées sur la forêt amazonienne. Et ces protéines du soja (l’azote !) se retrouvent dans les déjections des bovins et celles de leurs consommateurs. Cet azote ne sera pas restitué à l’Amazonie. La boucle est rompue.
La nécessité de ces boucles fermées est en termes de durabilité sociale de même nature que les principes fondamentaux qui régissent la défense de la souveraineté alimentaire et de l’agriculture de proximité.
Ce sont aussi celles qui régissent un corps sain et équilibré.
Le premier recensement fiable a été réalisé au Royaume-Uni en 1871. A cette époque, l’espérance de vie d’un homme était de 44 ans ! Mais si l’on y soustrait la mortalité enfantine, et les jeunes morts à la guerre, les hommes adultes vivaient 75 ans. Aujourd’hui, l’espérance de vie est d’environ 80 ans, un peu moins pour les hommes, un peu plus pour les femmes.
Cette amélioration est donc surtout due à l’hygiène et à une amélioration de la médecine principalement dans le domaine des maladies infectieuses.
Mais aujourd’hui, il faut prendre conscience qu’au niveau de la science et du savoir nous sommes proches de l’asymptote. Si au 18ème siècle des savants comme Humbolt et Darwin découvraient le monde et amassaient d’immenses savoirs et connaissances dans de multiples domaines, et en très peu de temps, Il faut prendre conscience qu’aujourd’hui nous avons atteint des limites, nous savons presque tout sur presque tout. Il faut être naïf pour penser qu’une découverte révolutionnaire changera le monde et résoudra comme par magie tous les problèmes environnementaux et sociétaux que nous avons identifiés et trop souvent provoqués.
Je prendrai comme exemple le Stradivarius. Tout le monde sait que depuis Stradivari ou Guarnori, personne n’a fabriqué de meilleur instrument. Est-à dire que pour le violon, la recherche est finie ? Non ! On a atteint une limite dans une dimension, mais on peut développer d’autres dimensions, écrire ou jouer de la musique pour le violon, plutôt qu’améliorer ce violon. En médecine, en agriculture peut-être aussi il faut passer à une autre dimension. Ne plus vouloir faire plus avec moins, mais aller vers un faire mieux ce qu’on doit faire avec ce qu’on a le droit d’avoir.
Faut‐il être tristes d’avoir atteint nos limites ? Non ! Car ce n’est que dans un plan, celui du chantier. Il nous reste à créer (et vivre) le plan de la maison, le plan du jardin.
En médecine comme en agriculture, il faut penser différemment. Reconnaître que nous avons presque tous les savoirs utiles pour établir des conditions de vie saines, agréables et soutenables pour tous.
Pour conclure, une dernière idée que je vous soumets. Elle me semble évidente et simple mais si difficile à mettre en œuvre.
Il suffirait dans tous les domaines ou l’artisanat et la main de l’homme fait mieux que l’industrie, de faire en sorte que celui-ci soit préservé. Dans l’agriculture, l’alimentation, la fabrication d’objets, de vêtements, de meubles, d’une partie des bâtiments, des services à la personnes, etc…, là où les artisans font plus beau, meilleur et plus sain, plus juste et plus durable. Nos sociétés devraient être capable de concéder à l’industrie que la fabrication de produits, de machines et d’équipements nécessaires et qu’elle sait mieux faire, en l’empêchant de concurrencer et « pervertir » les domaines et secteurs où la main humaine fait mieux. Privilégier la qualité à la quantité et promouvoir le partage plutôt que l’accaparement des richesses de la planète, pour une vie plus sobre et plus joyeuse.
Un vrai challenge !
Lucas Luisoni
Pour celles et ceux qui ne sont pas fatigués de cette lecture, Quelques mots d’auteurs stimulants :
- Albert Jacquard dans son dernier livre « Le compte rebours a-t-il commencé ? » (2009, Editions Stock)
Il nous faut tenter d’imaginer une autre humanité capable de tenir compte de deux évidences: d’une part la nécessité d’une gestion collective et raisonnable des richesses que la planète nous offre, d’autre part la nécessité de rencontres pacifiques et fécondes avec nos semblables ; d’une part l’humanité dialoguant avec la Terre, d’autre part les humains dialoguant entre eux. Il se trouve que les structures politiques et sociales actuellement dominantes, celles de l’Occident, ne respectent ni l’une ni l’autre de ces exigences.
- Denis Meadows, co-auteur du rapport du Club de Rome « Halte à la croissance »
Il y a deux façons d’être heureux : avoir plus ou vouloir moins. Comme je trouve qu’il est indécent d’avoir plus, je choisis de vouloir moins.
Le système reste un outil, il n’est pas un objectif en soi. Nous avons bâti un système économique qui correspond à des idées. La vraie question est de savoir comment nous allons changer d’idées. Pour des pans entiers de notre vie sociale, on s’en remet au système économique. Vous voulez être heureux.se ? Achetez quelque chose ! Vous êtes trop gros.se ? Achetez quelque chose pour mincir ! Vos parents sont trop vieux pour s’occuper d’eux-même ? Achetez-leur les services de quelqu’un qui s’en chargera ! Nous devons comprendre que beaucoup de choses importantes de la vie ne s’achètent pas. De même, l’environnement a de la valeur en tant que tel, pas seulement pour ce qu’il a à nous offrir.
- Serge Moscovici , Psychologue social, historien des sciences (1925 – 2014)
La clef de l’influence est à chercher, non pas du côté de l’autorité ou du nombre, mais dans la capacité d’un groupe à exprimer de manière cohérente et répétitive ses convictions.
Avec Puplinge Bouge, c’est ce que nous comptons faire !
10 décembre 2024 - Lucas Lusioni
Last modified: 11/03/2025